Même si vous connaissez déjà tous la fin de l'histoire, je vais quand
même vous raconter dans le détail nos dernières
heures de course.
Jeudi en fin d'après-midi, nous quittons le refuge de la Balme et nous
engageons sur le chemin vers les Arolles, au milieu de superbes paysages.
Les heures passent et la nuit arrive, apportant avec elle un brouillard de
plus en plus dense. A ce stade, nous avons très peu dormi depuis le début de la
course (environ 3h30 en 4 nuits en ce qui me concerne), et le coup de pompe de
la nuit arrive jour après jour de plus en plus tôt, et de plus en plus fort. Il
commence à me tomber dessus vers 21h30. Je tente de lutter autant que je peux,
mais nous devons bientôt nous arrêter toutes les heures pour dormir 10 minutes,
directement par terre, sur le chemin.
Un premier évènement va bientôt me sortir de ma torpeur. Alors que nous
sillonnons la montagne sans trace de civilisation depuis 5 ou 6 heures, notre
chemin débouche sur un petit parking en terre. Une voiture est là, au milieu de
nulle part…c'est Anna, qui est là , toute seule à nous attendre depuis 20h,
pour nous encourager et nous apporter tout son soutien !!! incroyable .... une
fois de plus, elle aura assuré ! Après quelques mots échangés et quelques
bisous (pour moi :-), nous nous relançons dans la nuit et le brouillard,
reboostés par cette visite surprise.
Malheureusement, l'effet sera de courte durée, et je replonge très vite
dans mon demi sommeil, marchant en suivant mécaniquement Corentin qui semble
heureusement en meilleure forme que moi.
Vers 1h du matin, nous arrivons à un point où le chemin est barré par un
éperon rocheux. La trace GPS semble indiquer qu'il faille le contourner par une
pente en herbe et en terre qui semble très pentue. Au même moment, nous
apercevons en contre-bas de la pente la lumière de trois frontales . Ce sont
celles d'une équipe française (des Alsaciens) qui tentent de remonter péniblement
la pente. Lorsqu'ils arrivent enfin à notre hauteur, ils nous indiquent que
c'est horrible, super glissant et dangereux du fait de l'humidité malgré les
crampons, qu'ils n'ont pas trouvé le passage à travers l'éperon et qu'ils
renoncent !
Corentin n'est pas chaud du tout pour s'engager dans cette pente sans
savoir si on pourra en sortir. De mon côté, je chausse mes crampons et je
descends quelques instants pour tester le terrain. Je crois trouver un passage
(qui n'est finalement pas le bon), mais surtout j'ai l'impression que ça
ne glisse pas tant que ça !
Entre temps tout le monde finit par être gelé par le brouillard glaçant et
nous décidons de revenir en arrière pour trouver un endroit où nous mettre en
sécurité en attendant de décider de la meilleure chose à faire. La situation
est confuse et je sens qu'elle est en train de nous échapper ... nous appelons
le PC course pour leur redemander comment faire pour nous sortir de cette
situation compliquée. Ils nous proposent d'attendre que d'autres équipes
passent pour que nous prenions exemple sur elles, ou à défaut que nous
revenions en arrière pour nous abriter pour la nuit dans un refuge, à 1h30 de marche.
Nous faisons les calculs : si nous allons à ce refuge pour attendre le
jour, nous n'avons aucune chance d'arriver à temps à la prochaine barrière
horaire en poursuivant par l'itinéraire normal. L'équipe alsacienne, bien
décidée à ne pas retourner dans la pente, choisit pourtant cette option.
Corentin semble prêt à les suivre. Je tente de le convaincre de retourner dans
la pente et de chercher le passage, mais il craint que l'on ne s'engage dans
une situation critique dont on ne saura pas se sortir (échaudé par certains
passages très techniques voir dangereux que nous avions pu affronter
précédemment durant la course - mais de jour). Je pense qu'il faut persévérer,
toute notre course en dépend. Et en même temps je ne me sens pas le droit de
lui imposer de s'engager dans une situation qu'il juge trop dangereuse. La mort
dans l'âme, j'accepte que nous suivions les alsaciens au refuge.
Entre temps, d'autres équipes sont arrivées sur les lieux. Nous leur
expliquons la situation et notre décision, mais elles décident d'aller vérifier
par elles-mêmes. Nous apprendrons par la suite qu'elles trouveront le passage
dans l'éperon rocheux seulement quelques minutes après notre départ. Elles
tenteront de nous appeler, mais nous n'entendrons pas leurs cris, déjà trop
loin ou trop fatigués.
Nous marchons pendant 1h30 qui me semble en être 10. Je n'en peux plus, je
suis au bout. Je marche comme un robot mais mon cerveau ne fonctionne plus, il
réclame seulement de dormir, n'importe où mais tout de suite. Heureusement que
Corentin est plus lucide et qu'il assure la navigation de la troupe. De temps à
autre je lève les yeux, mais je peine à comprendre où je suis et qui sont ces
gens autour de moi avec ces lampes frontales. Il est temps que cela
s'arrête.
Nous arrivons enfin au refuge vers 4h30 du matin, exténués, et nous nous
octroyons 3h30 de sommeil.
Le lendemain matin, nous discutons de la suite de la course avec l’équipe alsacienne. Faut-il abandonner, ici, au refuge ? Faut-il y retourner, s'engager
de nouveau dans des heures d’effort, juste pour l'honneur ou par orgueil
?
Les alsaciens décident d'en rester là, Corentin et moi choisissons d'y
retourner. La maigre nuit de sommeil et le petit déjeuner nous ont fait du
bien, et la progression de jour n'a rien à voir avec les conditions nocturnes.
Après 1h de marche nous arrivons de nouveau à la difficulté sur laquelle nous
avons buté durant la nuit. Il nous faut peu de temps pour trouver le passage et
franchir l'éperon rocheux. Je suis amer mais je ne peux en vouloir à personne.
Même si nous avions réussi à passer durant la nuit, j’imagine mal comment on
aurait pu beaucoup avancer ensuite, étant donné mon état d'épuisement.
Peut-être aurions pu réussir à dormir un peu quelque part, et gagner quand même
Beaufort à temps, tant bien que mal. Peut-être pas.
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La fameuse pente - bien différente de jour et avec moins de brouillard ... |
Le reste de la journée est assez agréable, nous ne croisons absolument
personne alors que nous découvrons les magnifiques paysages du
Beaufortain.
Nous arrivons vers 18h au refuge des Arrolles. La barrière horaire de
Beaufort est à 20h, et notre plan de marche indique encore 8 ou 9h d'effort
avant d'y arriver. Cette fois nous décidons d'en rester là. Aucune envie de se
retrouver dans le même état de fatigue extrême que la nuit précédente, sur des
terrains potentiellement plus accidentés, alors que l'issue de la course est
déjà scellée.
Je suis quand même bien content de cette dernière journée de ballade, et
très fier que nous ayons relevé la tête ce matin et trouvé l'énergie de
repartir.
Anna nous récupère une heure plus tard avec sa voiture en contre-bas du
refuge. Fin de la PTL 2018 pour l'équipe Ultra Rocstars 4.0, après 106 heures
de courses, 180km parcourus et plus de 16000m de D+.